Patience en entrepreneuriat : Pourquoi le grand ménage dans les usines du Québec est souvent un piège et comment la méthode des petits pas peut restaurer la rentabilité

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Le 30 janvier 2025 Par Richard DesRochers
Au début de chaque nouvelle année, et souvent à la demande pressante des investisseurs, de nombreuses entreprises du Québec se lancent dans ce qu’on pourrait appeler le « grand ménage ». Cette période implique des changements radicaux dans les structures de l’organisation, que ce soit au niveau des employés, des cadres, des directeurs ou même des chefs de production. Parfois, les entrepreneurs veulent transformer rapidement leurs affaires pour restaurer la rentabilité. Cependant, bien que ces transformations semblent prometteuses sur le papier, la réalité du terrain est bien souvent plus complexe, notamment lorsque l’on fait appel à des consultants extérieurs qui, bien que remplis de bonnes intentions, peinent à produire des résultats tangibles dans le court terme.

L’impatience : une ennemie du changement efficace

L’une des premières causes du changement radical rapide dans les usines est l’impatience. Les investisseurs, souvent sous pression pour générer des retours rapides, poussent à des réformes spectaculaires. Les consultants extérieurs sont embauchés pour orchestrer ce changement, parfois sans tenir compte des spécificités culturelles ou opérationnelles des équipes existantes.
 
L’idée de chambouler les équipes, de réorganiser les processus en profondeur et de prendre des décisions radicales semble à première vue séduisante. Cependant, l’impatience de vouloir tout transformer immédiatement peut nuire à la capacité de l’entreprise à se stabiliser.
 
En 2019, une étude menée par l’Institut de la statistique du Québec a révélé que près de 42 % des entreprises manufacturières au Québec avaient reporté ou réduit leurs projets d’innovation en raison de la pression des investisseurs pour générer des résultats immédiats. Ce phénomène peut être particulièrement dommageable dans les secteurs où les investissements en technologies et en formation sont essentiels à la productivité à long terme.
 
L’impatience est particulièrement problématique dans un environnement manufacturier, où les processus sont souvent rigides et nécessitent une adaptation progressive pour maintenir la rentabilité. Les changements brusques perturbent non seulement le moral des employés, mais ils désorganisent aussi l’ensemble des opérations. L’approche basée sur des changements radicaux peut entraîner une perte de productivité, une augmentation du taux de rotation du personnel (qui a augmenté de 20 % dans le secteur manufacturier québécois en 2020 selon une étude du Ministère de l’Économie et de l’Innovation), et des désaccords sur les nouvelles méthodes de travail. Plus encore, l’introduction précipitée de nouvelles technologies sans une formation adéquate peut mener à des dysfonctionnements coûteux.

La méthode des petits pas : une approche plus durable

Dans ce contexte, la méthode des petits pas s’avère souvent être la clé du succès. Plutôt que de se précipiter dans une transformation à grande échelle, cette approche consiste à procéder par étapes mesurées et à introduire des changements de manière progressive. Elle permet de tester les nouvelles initiatives avant de les déployer à grande échelle. Les résultats peuvent ainsi être évalués et ajustés en fonction des retours du terrain. Cette méthode privilégie une gestion du changement plus douce, plus maîtrisée, et moins perturbatrice pour les employés, ce qui améliore les chances de succès à long terme.
 
Les « petits pas » permettent aussi de mieux intégrer les employés dans le processus de transformation. Ces derniers, souvent réticents à des changements radicaux, peuvent ainsi voir progressivement les bénéfices du changement et ajuster leur comportement en conséquence. De plus, cela permet de maintenir la stabilité de l’entreprise, d’éviter une perte massive de talents et de développer une culture d’amélioration continue.
 
Une étude réalisée par l’Université Laval en 2021 a démontré que les entreprises qui adoptaient des stratégies de changement progressif et intégraient la rétroaction des employés dans leurs démarches de transformation avaient un taux de réussite de 88 %, contre seulement 54 % pour celles qui optaient pour des réformes trop rapides. Cette approche plus souple permet non seulement de préserver la rentabilité, mais aussi de renforcer l’engagement des employés, essentiel à la productivité à long terme.

Le rôle des grandes écoles et des universités

Les grandes universités et écoles de gestion, tant au Québec qu’ailleurs, ont largement reconnu l’importance de cette approche pragmatique. Les recherches menées dans ces institutions soulignent souvent l’importance d’une gestion du changement réfléchie, soutenue par des étapes mesurées et bien pilotées. Par exemple, le concept de « gestion par projet » (PMI — Project Management Institute) est enseigné dans de nombreuses écoles de gestion. Cette méthodologie favorise une approche étape par étape, avec des retours fréquents sur l’avancement du projet, plutôt que de tenter de tout changer d’un seul coup.
 
Des études menées par des écoles de commerce comme l’École des Hautes Études Commerciales (HEC) et l’Université Laval confirment que la gestion du changement réussie passe par la communication ouverte, la transparence et l’engagement des équipes. Les recherches indiquent aussi qu’une transformation réussie nécessite de bien comprendre la culture organisationnelle et de prendre en compte les résistances au changement. Une étude du Forum économique mondial en 2020 a également révélé que 70 % des transformations d’entreprise échouent en raison d’un manque de communication et d’une gestion inadéquate des résistances internes.

La réalité du terrain : entre précipitation et lente évolution

Sur le terrain, la réalité est bien différente de celle des théories académiques. Les entreprises du Québec, confrontées à une pression constante pour augmenter la rentabilité, font face à des défis qui ne peuvent pas toujours être résolus par une simple approche académique. Toutefois, de nombreuses entreprises commencent à comprendre que la rentabilité durable ne se trouve pas dans des changements rapides mais dans une amélioration progressive et mesurée des processus.
 
En pratique, les « petits pas » peuvent se traduire par la mise en place de petites améliorations continues dans la chaîne de production, la formation des employés sur de nouvelles technologies au fur et à mesure de leur introduction, ou encore des ajustements de la gestion des ressources humaines pour garantir une meilleure communication et collaboration.
 
Des entreprises telles que Pratt & Whitney et Bombardier au Québec ont souvent mis en œuvre ces principes, cherchant à introduire de nouvelles méthodes de travail progressivement, tout en obtenant les retours des employés sur la faisabilité des changements avant de les déployer à l’échelle de l’entreprise. En 2021, Bombardier a ainsi investi près de 6 millions de dollars dans des programmes de formation progressive pour son personnel de production, permettant une transition plus douce vers des technologies avancées tout en maintenant un niveau de rentabilité stable.

Retrouver la rentabilité par la patience et la méthode

L’impératif de la patience, en particulier dans un environnement manufacturier, est souvent négligé au profit de changements trop rapides. Les entreprises du Québec qui souhaitent retrouver la rentabilité doivent apprendre à introduire des transformations en douceur, avec des ajustements progressifs et un suivi rigoureux.
 
La méthode des petits pas, soutenue par les bonnes pratiques théoriques des grandes écoles de gestion et des observations sur le terrain, se révèle être une approche plus prometteuse et plus durable que la précipitation vers des réformes spectaculaires. Dans un monde en constante évolution, l’adaptabilité et la capacité à évoluer lentement mais sûrement sont les clés de la pérennité des entreprises.

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